Analyses
Principe
Art. 22 du Code de déontologie : « Lorsque des journalistes diffusent des accusations graves susceptibles de porter atteinte à la réputation ou à l’honneur d’une personne, ils donnent à celle-ci l’occasion de faire valoir son point de vue avant diffusion de ces accusations. L’impossibilité d’obtenir une réponse n’empêche pas la diffusion de l’information mais le public doit être averti de cette impossibilité ».
Eclairage
1. Le droit de réplique consiste à solliciter avant diffusion le point de vue / la version d’une personne qui est mise en cause gravement de telle manière que cela est susceptible de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation (accusations graves)
2. Le principe vaut pour tout personne, physique ou morale.
3. Donner un droit de réplique ultérieurement à la diffusion de l’accusation (le lendemain par exemple) est une faute. On notera que le principe vaut quel que soit le support utilisé (presse écrite, en ligne ou réseaux sociaux).
4. Si la personne n’a pu être jointe ou n’a pas donné suite à la demande, il y a obligation de le signaler au public.
Recueillir la version de la partie concernée
5. On peut parfois hésiter à qualifier certaines accusations d’atteinte grave à l’honneur ou à la réputation. Dans le doute, se rappeler que solliciter le point de vue de la personne n’est pas peine perdue puisqu’on tente de recouper alors une information à une source de première main.
6. Il peut arriver qu’un ou une journaliste justifie de ne pas aller chercher un droit de réplique auprès d’un acteur dont on sait qu’il refusera de répondre. Ce justificatif est rarement admis : il faut aussi solliciter le droit de réplique dans ces cas-là.
Le CDJ a déjà noté que même dans ces situations, demander la version de la personne concernée peut apporter des éléments complémentaires à l’enquête.
Les propos d’un tiers
7. Si une personne dont les propos sont cités met en cause gravement un tiers, le ou la journaliste doit (puisqu’il ou elle relaie ces propos en toute responsabilité) solliciter ce droit de réplique. On ne peut se retrancher derrière la responsabilité de la personne qui prononce ces propos.
Une question de délai
8. Le droit de réplique est sollicité avant diffusion. En investigation, il est de bonne guerre d’attendre le dernier moment. Pour autant, on ne pourra exiger de M. ou Mme Tout le monde qu’il ou elle réagisse avec la célérité d’un porte-parole aguerri.
9. Il faut aussi pouvoir laisser donner du temps complémentaire à une personne qui doit rechercher une information précise pour pouvoir répondre (si la mise en cause est nouvelle et nécessite cette recherche). (voir : 17-37 (lecdj.be)) : « Le Conseil estime en outre qu’étant donné l’accusation grave qu’il portait, l’article nécessitait un droit de réplique. Or, si le journaliste a effectivement contacté le plaignant afin qu’il puisse donner son point de vue, La Meuse Liège ne lui a pas accordé le délai raisonnable qu’il sollicitait pour lui permettre de s’exprimer en connaissance de cause sur le fond du dossier. Le CDJ rappelle que, selon l’art. 4 du Code de déontologie journalistique, « l’urgence ne dispense pas les journalistes de […] vérifier leurs sources, ni de mener une enquête sérieuse ». De plus, aucune urgence ne nécessitait de publier l’article sans attendre que le plaignant donne sa version des fait »
De la clarté
10. Solliciter un droit de réplique passe par l’identification de l’objet de celle-ci (sans nécessairement entrer dans le détail).
Les moyens de contact
11. Il ne s’agit pas d’épuiser tous les moyens existants pour solliciter la personne, mais de mettre en œuvre ce qui est nécessaire pour tenter d’entrer en contact avec elle. Voir 22-21 (lecdj.be) : « En dépit des protestations émises par la plaignante sur ce point, le CDJ constate que la journaliste, qui a détaillé les sources et les moyens qu’elle a sollicités pour tenter d’entrer en contact avec l’intéressée, a mis en œuvre ce qui était nécessaire pour tenter d’obtenir sa version des faits. Qu’elle ait privilégié certains canaux plutôt que d’autres ne peut lui être reproché dès lors que ces derniers étaient variés (téléphone, réseaux sociaux, sollicitation d’intermédiaires de proximité), qu’il ne peut être établi qu’ils n’étaient pas valides, ni que ceux proposés par la plaignante étaient aisément accessibles, et que les raisons qui l’ont amenée à ne pas intervenir directement sur le terrain pouvaient se justifier en contexte ».
En cas de reprise d’une information (exclusive)
Les journalistes et les médias peuvent aisément constater l’absence de droit de réplique dans une information (exclusive) qu’ils reprendraient. Ils doivent réagir en conséquence, à savoir aller chercher cette réplique eux-mêmes et, en cas d’impossibilité, la mentionner à l’attention du public.
© CDJ 2024
La Recommandation sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, adoptée par le CDJ le 16 novembre 2011, modifiée le 16 janvier 2019 et le 7 juillet 2023, aborde sous plusieurs angles les questions déontologiques qui affleurent naturellement dans le cadre du traitement des sujets politiques et plus particulièrement des élections.
Un axe de cette Recommandation, souvent rattaché au « cordon sanitaire médiatique », mentionne, en en précisant les modalités d’application, que les rédactions sont invitées à ne pas donner d’accès direct à l’expression des candidats, listes, partis, mouvements… qu’elles identifient comme liberticides ou antidémocratiques, ou dont elles constatent que leur programme ou leur discours entre en contradiction avec les lois réprimant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme.
C’est pourtant à dessein que la Recommandation n’use pas de cette expression. D’une part pour affirmer sa spécificité déontologique, bien plus complexe que la seule interdiction d’accès qui y est communément associée, d’autre part pour éviter toute confusion avec le cordon sanitaire politique, dont les principes sont définis à l’usage des hommes et femmes politiques et non des journalistes et des médias.
Dès lors que l’expression « cordon sanitaire médiatique » fait florès à l’approche et dans le contexte de chaque campagne électorale – en ce compris lorsque celle-ci se déroule dans des pays voisins – et vu que les interprétations et questions à son propos ne manquent pas, il semblait utile de se pencher sur sa signification ainsi que son origine et de poser clairement le sens qu’elle revêt au regard des principes de déontologie journalistique.
Cet éclairage démontre, s’il le fallait encore, qu’il s’agit là pour les médias d’assumer la responsabilité sociale qui découle de leur travail d’information. Cette responsabilité sociale s’incarne certes dans l’ensemble des règles qui balisent ce dernier, mais trouve également à s’appliquer dans l’attention à porter aux répercussions prévisibles de la diffusion de l’information sur la société. On comprend ainsi tout l’intérêt à dépasser l’expression « cordon sanitaire » pour lui préférer celle de « clause de responsabilité sociale et démocratique », bien plus proche des réalités journalistiques et médiatiques.
Depuis 2018, les plaintes en matière de rectification sont progressivement devenues plus importantes. Entre 2018 et 2021, à 14 reprises, le CDJ a constaté que le grief était fondé. Autrefois citée en marge d’autres griefs principaux, la rectification est également devenue progressivement centrale dans les plaintes. Tout bien considéré, il n’y a là rien d’étrange. Dans un écosystème médiatique où les contenus de toutes origines abondent et où la désinformation (« les fake news ») menace, l’application de ce principe déontologique est censée, en lien avec la recherche et le respect de la vérité, faire la différence pour le public et, par ricochet, pour la profession.
Inscrit à l’art. 6 du Code de déontologie journalistique, ce principe demande que « les rédactions rectifient explicitement et rapidement les faits erronés qu’elles ont diffusés ». Ce point ne suscite a priori guère de discussion : la reconnaissance d’une erreur entraîne la diffusion d’un rectificatif ; ce rectificatif intervient dès connaissance de l’erreur ; rédigé par la rédaction, il est clair et visible, comporte la reconnaissance et l’identification de l’erreur commise et la correction de celle-ci, en ce compris dans la titraille. L’objectif est d’assurer la bonne compréhension de l’information par le public et de permettre aux personnes ayant déjà pris connaissance du fait erroné de s’en apercevoir et de saisir la teneur réelle des faits. Pourtant, la diffusion des informations en ligne semble en avoir altéré le sens : nombreux sont les journalistes qui, de bonne foi, suite à une erreur, recourent à une simple « mise à jour » ou au retrait du contenu erroné. Les possibilités offertes par le support semblent ainsi emporter avec elles les fondements de la norme déontologique qui pourtant s’applique sans problème particulier dans les autres médias – presse écrite, radio ou télévision. En ligne, tout se passe comme si le support prenait la direction des opérations : la rapidité l’emporte sur l’explicite, le rectificatif devient simple correctif, au détriment de la bonne information du public !
Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas là d’une question de pur principe par laquelle on tenterait de nier l’évolution logique de pratiques qui s’ajustent au monde numérique. Non. Ce qui est en jeu est autre. Avec la rectification rapide et explicite, les journalistes assument et assurent leur responsabilité journalistique : s’il y a erreur, ils la reconnaissent, la corrigent en signalant l’erreur et la correction à leur public. L’exercice de cette responsabilité les distingue des producteurs d’autres contenus, « fake news » comprises, qui se moquent de leurs erreurs ou de leurs mensonges et de leurs conséquences. Avec la rectification rapide et explicite, les journalistes garantissent que la confiance que les publics leur accordent est bien placée et peut se poursuivre : si le contrat d’information qu’ils défendent assure le respect de la vérité, une erreur est toujours possible – les journalistes ne sont pas surhumains – ; en cas d’erreur, ils assument en toute transparence, sans se cacher, permettant à chacun d’en prendre clairement connaissance de manière à rester correctement informés.
Dès 2017, le CDJ, alerté par quelques premiers cas, avait réagi et publié une recommandation ad hoc (Recommandation sur l’obligation de rectification) qui rappelait le b.a.ba applicable en la matière et apportait des précisions pour l’information en ligne et déclinée sur d’autres supports numériques. Trois règles essentielles s’en dégageaient : le retrait ou la simple correction du fait erroné n’est pas un rectificatif explicite ; le rectificatif se situe, au choix du média, dans la même publication ou sur une autre page web avec renvoi par hyperlien ; la rectification porte, si possible, sur l’adresse URL lorsqu’elle contient également des erreurs. Si la pratique s’est sur cette base ajustée petit à petit, les plaintes qui se sont accumulées sur la question montrent d’une part qu’elle n’est pas encore généralisée et d’autre part que l’exigence du public sur ce point se fait de plus en plus forte. Là où il y a un an, une simple « mise à jour » suffisait pour emporter sans discussion une solution amiable dans une plainte, désormais elle ne suffit plus : les plaignants demandent la clarté. En témoignent plusieurs dossiers traités durant ce premier semestre 2022 au CDJ. Parmi ces derniers, sept trouvent leur origine dans une dépêche Belga qui relayait l’information exclusive mais erronée d’un média tiers. Le média qui avait constaté son erreur avait « mis à jour » son article sans procéder à une rectification explicite. L’agence n’en avait pas pris connaissance. Informée de l’erreur par le biais de la plainte introduite au CDJ, elle a rapidement rectifié la dépêche à l’intention de ses clients, qui ont alors diversement appliqué l’art. 6 du Code. Les plaignants ne s’en sont pas satisfaits. A l’issue de l’examen du CDJ, trois des sept plaintes ont été jugées fondées. Au vu de la diversité des pratiques en jeu, le CDJ a rappelé dans chacun des avis les règles applicables en la matière.
Il a aussi complété ses recommandations sur la question invitant les médias, lorsqu’ils sont amenés à rectifier une information, à mettre en évidence la date de cette rectification, afin de rendre celle-ci apparente pour le public. Ces dossiers font figure évidemment de cas d’école. Au-delà de leurs enseignements, ils démontrent aussi que dans les sujets de société sensibles – ici la question des libertés en lien avec la vaccination et le pass sanitaire – l’application rigoureuse de la règle évite d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui se servent d’erreurs mal ou pas rectifiées pour démontrer à quel point les médias d’information seraient peu fiables, peu crédibles ou tout simplement manipulés. La preuve – s’il en fallait encore – que la déontologie est un outil efficace pour (re)tisser le lien de confiance entre journalistes et publics.
Muriel Hanot – Secrétaire générale
« Lorsque la source est trouble, ce qui en sort l’est aussi »1
On ne compte plus aujourd’hui les « boutons » grâce auxquels les médias proposent au public de les alerter et de leur communiquer, en sus des réseaux sociaux, les petits et grands événements dont ils sont les témoins directs. Smartphones aidant, l’interactivité permise par les médias digitaux vient, images à l’appui, ainsi grossir les rangs des sources traditionnelles d’information, et il n’est plus rare que les faits qui y sont partagés deviennent sujets d’information. La pratique déontologique s’en voit-elle pour autant transformée ? A priori non. Quelle qu’en soit l’origine, une source reste une source pour les journalistes. Qui nécessite la même attention professionnelle, avec ses vérifications, recoupements… sans oublier la nécessaire attention aux droits des personnes, principalement lorsque ces « nouvelles » sources d’information sont filmées. Car, le fait qu’une image ait circulé préalablement sur les réseaux sociaux ou que les personnes filmées (ou photographiées) n’aient pas semblé d’emblée s’opposer à la prise d’images amateure n’exonère pas les journalistes qui s’en saisissent de se poser les questions d’usage. La Directive sur l’identification des personnes physiques prévoit de n’identifier les personnes, hors communication préalable d’une autorité publique, que dans deux cas : soit avec leur accord, soit quand cette identification est d’intérêt général. La manière dont l’information parvient aux journalistes ne modifie pas cette approche déontologique. L’art. 7 du Code de déontologie journalistique le souligne : « Les journalistes respectent leur déontologie quel que soit le support, y compris dans l’utilisation professionnelle des réseaux sociaux, sites personnels et blogs comme sources d’information et comme vecteurs de diffusion de l’information ».
Le rôle grandissant de l’interactivité dans l’échange d’informations entre public et médias offre l’occasion de revenir sur les relations des journalistes avec leurs sources. La question n’est pas neuve. Dès 2012, un Carnet de la déontologie était consacré au sujet (« Les journalistes et leurs sources. Guide des bonnes pratiques »). On y rappelait d’emblée : « Les occasions ne manquent pas, pour les professionnels de l’information, de reposer régulièrement la question des bonnes pratiques dans leurs relations entre les sources. Le débat, à ce propos, a pris une ampleur croissante au rythme de la professionnalisation des sources, de l’offre d’informations, et d’une communication médiatique désormais générale. Dans de très nombreux cas, ces relations sont fluides, respectueuses voire cordiales, parce que les intérêts des uns et des autres sont complémentaires. […] Mais ces relations peuvent aussi poser problème. Pour une part, cela s’explique : les journalistes et les médias exercent une fonction sociale qui implique nécessairement de prendre distance envers leurs sources et de porter un regard critique sur les messages de celles-ci. A l’inverse, les acteurs de la société ont pour objectif de donner une image ou de faire passer des informations les plus proches possibles de ce qui leur convient en fonction de leurs intérêts, de leur positionnement, de leurs stratégies de communication… ». Parce qu’au cœur d’échanges humains, la relation aux sources peut se révéler problématique, même dans des situations qui peuvent paraître évidentes, ces situations par exemple où un témoin révèle un « dysfonctionnement » et interpelle en désespoir de cause un média pour faire valoir son point de vue… Un avis du CDJ adopté en début d’année 2019 (18-16 CityParking c. S. C. / Nord Eclair) attirait ainsi indirectement l’attention sur ce journalisme de témoignage. L’article en cause était consacré au récit d’un ancien agent d’une société de gardiennage qui disait avoir été licencié pour ne pas avoir respecté des quotas de contrôle parking imposés. L’enquête reposait sur le témoignage, anonyme, de cet ex-agent, que la journaliste avait rencontré. La société auquel un droit de réplique avant diffusion avait été offert démentait catégoriquement les faits, parlant de rumeur voire de légende. Interrogés, d’autres acteurs directs (agents contrôleurs en poste et échevin de la Mobilité de ville où se seraient déroulés les faits) faisaient de même. Pouvait-on dès lors rendre compte de l’existence de ce « dysfonctionnement » sur base du seul témoignage anonyme que d’autres points de vue – dont celui de la société directement impliquée – ou d’autres pièces ne permettaient pas de confirmer ? Dans son avis, le CDJ a constaté que les propos du témoin anonyme avaient bien fait l’objet d’un recoupement à différentes sources – dont la société mise en cause – qui les avaient unanimement démentis. Il a relevé que ces démentis avaient été publiés et avaient permis par la même occasion à la société mise en cause d’exercer son droit de réplique en exprimant son point de vue. Cependant, le Conseil a estimé que le « dysfonctionnement » ne pouvait être établi en renvoyant simplement dos à dos les protagonistes de l’affaire : « Le Conseil constate que le travail de recoupement de la journaliste ne lui a pas permis de vérifier les faits avancés par cet unique témoin : aucun élément factuel, aucune pièce, aucune source ne confirment tout ou partie des accusations formulées. Pour le CDJ, il était d’autant plus nécessaire de lever le doute sur la véracité des propos tenus que la journaliste avait accepté l’anonymat du témoin. A défaut de vérification, même mise à distance par des guillemets ou le conditionnel, la déclaration du témoin relève davantage de la rumeur que de l’information ». La jurisprudence du CDJ rappelle que « Lorsque des journalistes évoquent des rumeurs, il leur revient de les confirmer par des faits ou de les contredire afin de s’approcher au plus près de la vérité. […] La recherche et le respect de la vérité ne se satisfont pas de la juxtaposition de deux informations (une rumeur – une dénégation) sans conclusion » (avis 14-19). Ce dossier renvoie en écho à un autre avis du CDJ (dossier 17-23 Ch. Preaux c. L. D. & C. C. / La Nouvelle Gazette). Dans ce dossier, où le plaignant reprochait aux journalistes de présenter une rumeur de conflit d’intérêts comme une information l’associant à un scandale politico-médiatique qui défrayait alors la chronique, le CDJ avait relevé que si les journalistes relayaient une rumeur, celle-ci avait néanmoins fait l’objet d’une enquête journalistique. La différence d’appréciation avec le dossier de ce début d’année 2019, si l’on excepte les situations distinctes, porte donc sur le fait d’une part que les journalistes disposaient à l’issue de leur enquête non pas d’un seul témoignage anonyme, mais de trois sources indépendantes qui se recoupaient et, d’autre part, qu’ils avaient décidé de mentionner explicitement la nature de cette rumeur (« une rumeur a circulé »), insistant sur son caractère incertain.
Outre la prudence et le recul nécessaires à conserver face aux sources avec lesquelles les journalistes peuvent tisser des liens de confiance, ces deux dossiers mettent aussi en lumière la primauté que les journalistes doivent garder sur la source, sans hésiter à partager avec le public les doutes que la démarche inhérente à leur fonction exige d’eux. Les décisions que prennent les journalistes impliquent souvent des choix éthiques qu’ils gagnent à partager avec leur public, en toute transparence, de manière à garantir cette confiance dont le journalisme a besoin.
Muriel Hanot – Secrétaire générale
1 Proverbe chinois.
Plusieurs avis adoptés lors du dernier semestre 2018 reviennent sur le principe de responsabilité sociale. Ce principe figure en préambule du Code de déontologie journalistique qui relève : « La responsabilité des journalistes envers le public prend le pas sur leurs responsabilités à l’égard d’intérêts particuliers, des pouvoirs publics et de leurs employeurs. Les journalistes ont une responsabilité sociale inhérente à la liberté de presse ». Deux perceptions complémentaires s’en dégagent dans les derniers avis CDJ de l’année.
La première renvoie à l’ensemble des règles qui encadrent la profession, et porte donc sur la déontologie journalistique en général. L’avis 18-18 (Institut Saint-Joseph de Charleroi c. NG / Vlan N°1 Edition Nord ) avance ainsi : « Le fait que ces fautes déontologiques [défaut de vérification, absence de droit de réplique] soient liées à une activité journalistique antérieure à la diffusion de Vlan n’exonère pas ce dernier de sa responsabilité déontologique. […] Reproduire en tout ou en partie une information qui a été produite et diffusée par un autre média résulte non seulement de choix éditoriaux liés à des activités d’ordre journalistique comme la sélection de l’information, son agencement, sa titraille, son illustration… mais active également la responsabilité sociale du média envers son public, vis-à-vis duquel il s’engage, comme média d’information, à diffuser une information respectant la déontologie ». Une appréciation similaire avait été formulée quelques mois plus tôt à l’égard d’un média d’information non traditionnel (18-14 B. Moriamé c. P. Dulieu / Confluent). Le CDJ y rappelait que « dans l’exercice de leur travail, les journalistes ont une responsabilité sociale inhérente à la liberté de presse. Cette responsabilité sociale se traduit dans le préambule ainsi que dans l’ensemble des principes énoncés aux articles 1 à 28 du Code de déontologie journalistique ». Le CDJ soulignait ainsi que la responsabilité déontologique (et par conséquent le respect du Code de déontologie journalistique) s’applique à tous ceux qui exercent une activité d’ordre journalistique, qu’ils soient ou non professionnels. A cet égard, l’avis 18-18 précise d’ailleurs que le Code de déontologie journalistique considère comme journaliste toute personne qui contribue directement à la collecte, au traitement éditorial, à la production et/ou à la diffusion d’informations, par l’intermédiaire d’un média, à destination d’un public et dans l’intérêt de celui-ci.
La seconde forme d’évocation de la responsabilité sociale est plus pointue. Elle concerne l’attention qui est prêtée, dans le traitement journalistique, aux éventuelles répercussions de l’information diffusée dans la société. Cette approche n’est pas neuve 2. On la retrouve émise pour la première fois dans un avis du CDJ de 2010 (10-16 Bouda c. Métro). Dans ce dossier, le CDJ avait noté que « sur le plan déontologique, lorsqu’un(e) journaliste traite un sujet qui risque de heurter des personnes, il(elle) doit porter attention aux éventuelles répercussions de la diffusion de l’information concernée dans la société. C’est la définition de la responsabilité sociale des journalistes. Cette attention peut aboutir dans des cas exceptionnels à la décision de ne pas traiter le sujet, mais portera plus généralement sur la manière de l’aborder : termes utilisés, remise en contexte, pluralité des sources… ». Il concluait : « Choquer, heurter, blesser… peuvent être des conséquences de la publication/diffusion d’une information, mais ne peuvent pas être des objectifs en soi ».
Les différents avis adoptés par la suite montrent que la notion réfère à la prise en compte, par le journaliste, de l’impact que peut avoir l’information qu’il va diffuser sur les personnes citées, sur les sources et sur les lecteurs. On la retrouve dans des dossiers qui traitent de sujets de société sensibles (comme l’identité de genre dans le dossier 17-08 Genres Pluriels ASBL c. N. Bensalem & B. Maréchal / Vivacité ou les violences sexuelles dans les dossiers 17-14 Divers c. F. DE H. / SudPresse et 17-48 T. Ramadan c. RTBF) ou qui rendent compte de faits dont les protagonistes sont fragiles (par exemple les victimes de violences, d’accident comme dans le dossier 17-53 Divers c. B. Maréchal / Vivacité), le plus souvent associée à d’autres griefs déontologiques (identification des personnes, omission d’information essentielle, absence d’enquête sérieuse ou de mise en perspective du sujet…).
Cela étant, si le journaliste doit anticiper les conséquences que pourrait avoir l’information diffusée, il n’est pas requis qu’il se lance dans une recherche exhaustive de celles-ci : l’impact dont il est question est de l’ordre du prévisible. Dans l’avis 12-01 (Rombaux c. La Nouvelle Gazette), outre qu’il relevait l’importance d’une discussion en rédaction durant laquelle l’enjeu déontologique de la responsabilité sociale avait été soulevé, le CDJ retenait que « les médias ne sont […] pas responsables de tous les effets potentiels qui peuvent résulter d’une telle publication ». Dans le dossier 16-39 Divers c. G. Barkhuysen / SudPresse, il notait également : « Le fait de permettre aux lecteurs de bénéficier des résultats d’une recherche dont les objectifs sont scientifiques et de pouvoir, à partir de celle-ci, déterminer si dans son environnement proche vivent telles ou telles communautés est une information utile, a fortiori dans un journal de proximité. L’usage dévoyé que pourrait en faire une minorité relève d’une responsabilité autre que celle du média et du journaliste ».
Qu’il soit évoqué en ce sens premier ou second, le principe de responsabilité sociale n’enlève rien à la liberté rédactionnelle des journalistes dont il n’est que le nécessaire envers. L’évidente puissance de l’une appelle en effet la nécessaire prudence de l’autre, une combinaison qui marque la différence entre réelle activité journalistique et simple diffusion de contenus.
Muriel Hanot – Secrétaire générale
2J. Duprez, Analyse jurisprudentielle de la responsabilité sociale dans les avis du CDJ. Rapport de stage, février 2018 (Document interne).
La couverture médiatique du retour en Belgique d’une jeune adolescente soupçonnée d’être partie pour la Syrie a récemment remis à l’agenda du CDJ la question de l’identification des mineurs d’âge. Dans les dossiers en cause – deux plaintes et une demande d’avis –, le Conseil a ainsi souligné la vigilance accrue qui s’impose dans le traitement d’informations les concernant. Cette vigilance, qui s’articule autour des art. 24 (droit des personnes / droit à l’image), 25 (respect de la vie privée) et 27 (attention aux droits des personnes fragiles) du Code de déontologie journalistique, avait déjà fait l’objet de dispositions spécifiques dans la Directive sur l’identification des personnes physiques dans les médias adoptée en 2014. Si la plupart des principes qui y sont énoncés (consentement préalable, cas où l’identification est permise, appréciation de l’intérêt général) valent quel que soit l’âge des personnes, l’un d’entre eux porte spécifiquement sur la prudence particulière à adopter lorsque des mineurs d’âge sont évoqués. Sont en effet en jeu leur vulnérabilité, leur droit à l’erreur, leur reconstruction future. Dans la balance nécessaire à opérer entre intérêt général et droits de la personne, préalable à toute identification, l’élément jeunesse complexifie la mesure. Dans les deux dossiers de plainte susmentionnés (17-46 AtMOsphères AMO c. DH.be ; 17-47 AtMOsphères AMO c. RTL-TVI & RTL.be), le CDJ a considéré que les circonstances liées au départ et au retour de la jeune adolescente, bien qu’en relation avec le contexte terroriste, n’étaient pas de nature à justifier qu’il soit passé outre à ses droits : son identification, alors qu’elle était placée en institution publique de la protection de la jeunesse (IPPJ), n’était pas d’intérêt général. Le Conseil a cependant conclu que cette identification résultait d’une négligence de la part des deux médias qui bénéficiaient de circonstances atténuantes et qui avaient corrigé leur erreur. Appréciant la manière dont chacun avait rectifié cette erreur, il a relevé que l’un des deux ne l’avait pas fait de manière explicite et a, dans ce cas, retenu que la plainte était fondée sur ce point uniquement. Dans l’ Avis interprétatif sur l’identification des mineurs d’âge qu’il a adopté par la suite, le 20 juin, le CDJ a rappelé qu’en la matière il ne s’agit pas seulement d’évaluer l’intérêt général de l’information, mais de peser aussi spécifiquement l’intérêt général – la plus-value – qu’il y a d’identifier le mineur d’âge. Un fait qu’il avait déjà pu mettre en avant, dans un tout autre contexte, dans l’avis 17-38 X. c. M. M. / La Meuse Luxembourg , dans lequel le Conseil avait estimé qu’en raison des faits évoqués dans l’article (des faits d’ordre privé), l’identification de la mineure n’avait pas lieu d’être et portait atteinte à ses intérêts. Evaluer le risque Dans ce cas comme dans d’autres, le CDJ a constaté que le problème se posait, non pas parce que le nom ou la photo étaient divulgués, mais parce que la convergence d’éléments comme le nom de membres de la famille, l’école, le domicile… rendait possible l’identification de l’enfant en dehors de son cercle de proches. Dans le dossier 15-49 X et Y c. dhnet.be, la mention du fait que les mineures – qui habitaient une petite localité – étaient jumelles, ce qui permettait, selon le plaignant, de les reconnaître, a fait débat. Le CDJ a estimé en conclusion qu’il n’avait pas la certitude absolue que les informations diffusées par le média avaient suffi, seules, à permettre l’identification (notamment parce que les réseaux sociaux avaient aussi diffusé des informations facilitant l’identification). Pour autant, il a relevé l’importance pour le média de prendre en compte le risque que « l’identification peut résulter d’autres éléments que le nom qui rendent certaine l’identité des personnes concernées ». Personnalité publique Il arrive bien évidemment que l’intérêt général puisse justifier que l’on identifie un mineur. Si les cas de jurisprudence sont peu nombreux sur ce point, on retiendra néanmoins que dans le dossier 14-13 M. Kapenda & N. Mujinga c. J. N. / SudPresse relatif à deux jeunes footballeurs qui avaient arrêté les compétitions après le décès de leur frère, victime d’un problème cardiaque, le CDJ a estimé que « lorsque […] des sportifs d’une région obtiennent de bons résultats à l’échelon national, ils deviennent, toute proportion gardée, des personnalités publiques ». Par contre, dans un dossier de 2016 (16-43 S. Dedycker c. J. Noël / L’Avenir ) consacré à deux jeunes joueurs U14 qui avaient fait l’objet d’une sanction de la part d’un comité d’arbitrage de football pour s’être battu après un match, le CDJ a jugé que la mention du nom des jeunes garçons n’était pas nécessaire et n’apportait pas de plus-value à l’information : « ces garçons qui participent au sein d’équipes de jeunes (U14) à des compétitions qui restent amateurs et confidentielles ne sont pas des personnalités publiques, même sur le plan local ». Le CDJ a par ailleurs retenu que les faits reprochés ne se distinguaient ni par leur gravité ni par leurs conséquences. On notera que dans cet avis, le CDJ pointait aussi que la diffusion des noms par le comité d’arbitrage ne justifiait pas leur identification dans les médias. Dans un registre similaire, l’ Avis interprétatif sur l’identification des mineurs d’âge relève que « des éléments d’identification du mineur d’âge largement relayés dans la presse à un moment donné (fût-ce à l’initiative des parents), voire partagés par les autorités publiques (par exemple un avis de recherche publié sur le site de la police), ne justifient pas leur utilisation pour toute diffusion ultérieure ». Le cadre de référence peut en effet avoir changé. Ainsi, dans les dossiers 17-46 et 17-47, la jeune fille qui était identifiée était passée du statut de mineure disparue à celui de mineure placée en IPPJ. Ce fait nouveau nécessitait d’autant plus d’attention que, comme le rappelait déjà la Directive sur l’identification , renvoyant à l’article 433bis du Code pénal et aux mesures de protection de la jeunesse, « les journalistes, les rédactions et les éditeurs respectent les dispositions légales qui interdisent dans certaines circonstances l’identification des mineurs (…) sauf dans les cas où il serait justifié d’y passer outre pour des raisons d’intérêt général ». Un intérêt général qui, dans ce cadre comme dans d’autres, s’apprécie toujours en situation.
Muriel Hanot
Secrétaire générale
Les journalistes n’ont pas pour vocation de plaire à tout le monde. Ils sont régulièrement amenés à diffuser des informations qui déplaisent et contrarient. Cette liberté s’exerce au nom du droit à l’information du public ; elle est balisée par des principes de déontologie au nombre desquels figure le droit de réplique. Ce dernier consiste à solliciter le point de vue d’une personne gravement mise en cause avant diffusion, de manière à préserver son droit à l’honneur et sa réputation. Plusieurs plaintes relatives à cette question ont permis en ce deuxième semestre 2017 de rappeler la règle et d’en étoffer la jurisprudence.
Dans le processus de vérification et de recoupement d’une information susceptible de mettre en cause gravement une personne, le journaliste attend souvent le dernier moment pour contacter celle-ci. Histoire de disposer d’éléments en suffisance, histoire ne pas éventer le dossier… Puis, arrive la dernière minute avant publication : l‘information est recoupée, le droit de réplique parfois oublié. Le CDJ a rappelé que dans ces situations comme dans d’autres, l’urgence ne justifie pas la faute. De même, il a relevé que le droit de réplique ne se confond pas avec le processus de vérification de l’information. Ainsi, dans le dossier 17-02 (CHBA c. A. d’Angelo / Soir Mag ), il a estimé que la journaliste aurait dû offrir un droit de réplique au médecin accusé d’avoir eu un comportement déplacé à l’égard d’une patiente : il a en effet considéré que les contacts que la journaliste indiquait avoir pris avec les services de médiation et de plainte de l’hôpital ne relevaient pas du droit de réplique mais d’une démarche de vérification auprès de personnes tierces. Dans le dossier 17-11 (Productions du Dragon et W. Graziosi c. A. Dive / La Libre ), il a abouti au même constat : dans ce cas, il a jugé qu’avoir sollicité le mandataire judiciaire de Franco Dragone pour traiter des accusations de financement par la corruption portées à l’encontre du producteur louviérois tenait du processus de recoupement de l’information, pas du droit de réplique.
Dans un avis de décembre (17-21 N. Tzanetatos c. C. Vallet / LeVif.be) relatif aussi à cette question, le CDJ a examiné les conditions dans lesquelles le droit de réplique avait été sollicité, conditions que le plaignant jugeait déloyales. Le Conseil a constaté que celles-ci étaient correctes : le journaliste avait sollicité le point de vue du plaignant avant publication et lui avait exposé clairement les accusations formulées à son encontre. Il a également retenu que la réponse de la personne avait été exposée synthétiquement certes, mais était conforme aux propos du plaignant. A noter, dans ce cas comme dans d’autres, que si la personne contactée n’avait pas donné suite à la demande du journaliste, ce dernier aurait dû l’indiquer à son public. L’article du Code précise en effet que « l’impossibilité d’obtenir une réponse n’empêche pas la diffusion de l’information mais le public doit être averti de cette impossibilité » (art. 22). Un avis de 2016 a par ailleurs retenu que le droit de réplique s’applique également à une personne morale comme une entreprise, dont une accusation grave peut également affecter, dégrader l’image, la réputation.
Bien entendu, s’il n’y a pas accusation grave, le droit de réplique ne s’impose pas. Dans le dossier 16-26 (X c. N. B. / SudPresse), le CDJ a observé que s’agissant de la simple relation de faits constatés et vérifiés – une perquisition au domicile d’une avocate mise en cause – l’information n’appelait pas le droit de réplique réclamé par la plaignante. Dans le dossier 17-18 (S. Kuetu c. T. C. / LaCapitale.be), il a relevé que contrairement à ce qu’affirmait le plaignant, aucun passage de l’article ne l’accusait gravement. Cet avis soulignait aussi que les propos soi-disant accusateurs étaient tenus par des acteurs du dossier et leur étaient correctement et clairement attribués. A cet égard, on retiendra qu’une opinion négative émise par l’un ou l’autre témoin ne constitue pas une accusation grave susceptible de porter atteinte à la réputation ou à l’honneur d’une personne vu son caractère subjectif. Il n’en irait pas de même si les propos portaient sur des faits et non sur un ressenti…
Comme à chaque fois, ces différents cas de figure rappellent à la fois le principe déontologique, simple en apparence, et son interprétation, délicate, en contexte. On retiendra aussi du droit de réplique que s’il permet aux personnes mises en cause de se défendre, il offre aux journalistes la garantie de mener leur travail d’enquête plus sereinement et de se prémunir d’éventuelles instrumentalisations.
Muriel Hanot
Secrétaire générale
Le CDJ a connu ces derniers mois une recrudescence de plaintes contre la diffusion d’images violentes : crash de voitures, assassinat politique, agression d’un jeune adolescent, attaque chimique… Doit-on y voir une sensibilité accrue du public qui, à l’heure du niveau 3 de la menace terroriste, estime de plus en plus choquant de voir ou deviner la mort dans l’information ? La crainte de parents qui, face à la multiplication des écrans, assimilent volontiers les critères de protection des enfants prévus en télévision aux critères d’une bonne information ? La réaction d’usagers traditionnels des médias qui apprivoisent non sans mal les vidéos amateurs devenues incontournables sur les sites web de presse écrite ? Peu importe. Le phénomène est là et relance une ancienne discussion déontologique : les médias d’information peuvent-ils montrer la mort et si oui, comment ? A l’évidence, en réponse, le droit à l’information s’impose. A la différence de la fiction, l’information doit rendre des comptes à la réalité dont elle est redevable. Si l’information est rude, violente, ce n’est pas le fait d’une construction de l’esprit mais bien le résultat de faits réels, avérés, vérifiés. Par ailleurs, le devoir d’information des journalistes passe aussi par la nécessité de faire comprendre les situations difficiles et sensibles. Des situations dont les images vidéo témoignent par nature avec plus de force et de réalisme que les mots et même les photos.
Faut-il pour autant tout diffuser ? Sur le plan déontologique, l’article 26 balise les pratiques en la matière : « Les journalistes évitent l’intrusion dans la douleur des personnes et la diffusion d’informations et d’images attentatoires à la dignité humaine, sauf ce qui est pertinent au regard de l’intérêt général ». La jurisprudence identifie comme points de repères pour en juger la plus-value de l’information que l’image véhicule et le caractère identifiable des personnes. Elle pointe également que la valeur informative de l’image réside dans la mise à distance, dans une mise en perspective journalistique qui cherche à comprendre et expliquer ce qui apparaît à l’écran, dans une invitation à la prudence… Les derniers avis pris en la matière (16-46 J. Fontignie c. LaMeuse.be, 16-47 J. Fontignie c. RTL-TVi / RTL.be, 16-75 N. Boevinger c. RTBF, 16-76 H. Charles c. DH.be), non fondés, ne s’en écartent pas.
Ces avis mettent aussi incidemment en avant d’autres points d’attention qui tiennent aux usages digitaux qui sont faits de ces images. Ainsi, si l’avis 16-37 souligne que l’intérêt de diffuser certaines images peut être diversement apprécié suivant les rédactions, il relève également qu’il peut s’ajuster au sein d’une même rédaction aux spécificités des supports de destination. Dans ce dossier, le média indiquait en effet que la rédaction, après discussion sur l’opportunité de diffuser les images d’un accident de voitures, avait opté pour des déclinaisons variables : dans le JT, où elles avaient été diffusées intégralement, les images avaient fait l’objet d’un traitement journalistique et avaient été précédées d’un avertissement explicite à l’intention des spectateurs ; par contre, pour la séquence factuelle et non contextuelle diffusée sur le web, la rédaction avait choisi de ne pas montrer le moment de la collision. Dans un autre avis, le CDJ rappelle que la signalétique, évoquée par le plaignant, n’est pas d’ordre déontologique mais réglementaire. Le système de classification des contenus TV et leurs conditions de programmation s’appliquent à tous les programmes, mais pas à l’information, qui relève de la liberté d’informer et pour laquelle la loi prévoit une obligation d’avertissement oral. Cet avertissement oral dont la déontologie retient aussi qu’il peut être utile, tous supports confondus, pour avertir le public du caractère particulier des images diffusées ou proposées au visionnage, sans qu’il ne soit ni contraignant, ni nécessairement suffisant pour encadrer des images sensibles. Dans un dossier de 2016, le CDJ avait relevé que même s’il y avait avertissement, les images de torture diffusées par le média en ligne portaient
atteinte à la dignité de la personne car elles n’étaient pas mises en perspective par un travail journalistique. La personne montrée était ainsi déshumanisée. Le fait que les images aient été jusque-là abondamment partagées sur les réseaux sociaux n’y enlevait rien. Le CDJ soulignait alors que « la question que pose la diffusion de telles images dures et violentes réside moins dans leur partage — qui peut être le fait de n’importe quels plateforme, site ou blog — que dans la manière dont un média d’information […] leur donne une plusvalue journalistique qui fait sens pour les internautes ». Il pointait ainsi une différence essentielle entre les médias d’information et les fournisseurs de contenus divers et variés : les médias d’information partagent bien plus que du contenu. Ils donnent une lecture des faits et permettent de comprendre le monde
Muriel Hanot
Secrétaire générale
En complément
DéontoloJ est un bulletin papier, également publié en ligne, destiné principalement mais pas exclusivement à ceux qui exercent une activité journalistique. Il présente semestriellement les enjeux déontologiques abordés par le CDJ dans ses avis, décisions, directives et recommandations. Il est notamment diffusé via les associations professionnelles de journalistes et dans les universités.