Élections : le CDJ alerte à nouveau sur une ingérence du CSA dans la liberté rédactionnelle des journalistes
En marge de la décision (non fondée) qu’il vient de rendre dans le dossier d’autosaisine relatif à l’émission « Les 48h des bourgmestres », le CDJ constate que l’instruction du CSA, ouverte contre le même programme pour atteinte à l’équilibre politique alors que la campagne était toujours en cours, intervenait dans la couverture des élections et sur la ligne éditoriale du média.
Le 30 septembre 2024, alors que la campagne électorale pour le scrutin communal est toujours en cours, le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) prend connaissance par voie de presse de l’ouverture, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), d’un dossier d’instruction à l’encontre de RTL-TVi qui n’aurait pas assuré l’équilibre et la représentativité de tous les partis dans son émission « Les 48h des bourgmestres ». Comme en 2018, lors de la première édition de cette émission d’information générale qui brosse 48h durant le bilan de toutes les communes wallonnes et bruxelloises via l’interview en 10 minutes de leur bourgmestre sortant, le CSA rejette, au mépris du décret du 30 avril 2009 qui l’impose, la priorité décisionnelle du CDJ et refuse de lui transmettre les plaintes.
Le CDJ décide de s’autosaisir, comme il l’a déjà fait en 2018 et, ce 15 janvier, conclut, après examen, à la conformité de l’émission aux principes de déontologie.
En marge de cette décision, le Conseil a jugé nécessaire de tirer publiquement la sonnette d’alarme sur la pratique du CSA. Au-delà de la défense de sa propre compétence – le CSA n’a pas à décider à sa place si le CDJ est compétent ou non –, le CDJ veut surtout éviter que les décisions du régulateur, prises sans égard pour les principes déontologiques qui sous-tendent le travail des journalistes, ne créent un précédent qui, à terme, menacerait le libre exercice du droit à l’information.
A l’instar de l’alerte publiée sur la plateforme européenne de protection des journalistes pour un dossier de 2022, le CDJ constate en effet que lorsque le CSA ne respecte pas le décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui donne la première ligne à l’autorégulation journalistique sur les questions à double compétence, il s’arroge des prérogatives qu’il n’a pas, et porte ainsi atteinte à la liberté et l’indépendance des médias, en cherchant à influer directement sur les contenus d’information.
Dans ce cas précis, le Conseil constate que fort de la décision et de la sanction qu’il avait prises en 2019 après sa première instruction contre « Les 48h des bourgmestres », le CSA a, en ouvrant cette instruction en référence à sa propre jurisprudence, cherché à intervenir dans la couverture des élections alors en cours et sur la ligne éditoriale du média. Il relève que cette jurisprudence et l’action qui en découle :
– dénient aux journalistes et à la rédaction du média le droit d’exercer leur liberté rédactionnelle (choix du format de l’émission, des personnes invitées, de la manière dont les échanges sont organisés), ainsi que leur capacité à assurer un traitement journalistique des interviews en toute responsabilité ;
– excluent la possibilité qu’un média puisse en début de campagne confronter une personne en charge (un bourgmestre sortant, non nécessairement candidat aux élections) aux réalités de son terrain et de son action dans le souci d’une information complète, contradictoire et rigoureuse ;
– imposent aux médias audiovisuels, dans le cadre d’une campagne électorale locale, de réaliser toute interview de personnalité dans le souci d’un équilibre calculé non plus de manière globale mais en fonction de chaque réalité locale sans considération de la nature du média, du type d’information, et des choix journalistiques ;
– enlèvent de ce fait la possibilité pour un média d’envergure nationale d’envisager ce type de format pourtant conforme aux principes de déontologie, interférant avec sa liberté rédactionnelle.
Le Conseil souligne que cette ingérence sur les choix rédactionnels est d’autant plus problématique qu’elle intervient ici en période électorale dans le chef d’une instance régulatoire qui, bien qu’indépendante, est composée de membres désignés par le gouvernement et le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la base de leur appartenance politique supposée.
Le CDJ mettra tout en œuvre pour faire cesser ces ingérences et faire respecter le cadre légal précisément prévu pour les éviter.
Denis Pierrard, Président du CDJ et Martine Simonis, Présidente de l’AADJ
Lire le communiqué sur la décision 24-43 ICI.