Comment articuler l’autorégulation journalistique et la régulation des médias ?
À l’heure où l’Europe affute son approche de la modération des contenus en ligne, le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) explore, dans un rapport de recherche qui vient de paraître, les relations entre autorégulation journalistique et régulation des médias d’information au sein de l’UE. Il en ressort après discussion avec les acteurs 10 recommandations qui soulignent la nécessité d’un dialogue et d’une coopération d’égal à égal entre l’une et l’autre instance, de manière à protéger au mieux la liberté de presse et le droit à l’information.
En Belgique francophone, les interactions entre le conseil de presse (CDJ) et le régulateur des médias audiovisuels (CSA) font partie du jeu. Elles sont même inscrites dans un décret ! Pourtant, pour la plupart des conseils de presse, parler d’ « articulation » entre autorégulation journalistique et régulation des médias semblait encore jusqu’il y a peu étrange, voire dangereux… Partant de son expérience, le CDJ s’est donc demandé si son modèle de coopération était vraiment unique, au regard des changements entraînés par la convergence numérique. Il s’est ainsi intéressé aux échanges formels ou informels qui peuvent intervenir entre instances dans les autres pays de l’Union européenne, et s’est appliqué à en comprendre les rouages.
Partant de l’exemple belge, l’analyse comparative menée au sein du CDJ par Helena Peten de Pina Prata, jeune chercheuse en DTIC, s’est concentrée sur la manière dont régulation et autorégulation coexistent et se superposent, s’intéressant à l’organisation de leurs interactions. L’autorégulation journalistique étant le fruit d’une initiative privée des acteurs du secteur, il n’existe pas (encore) de règles pour l’harmoniser au niveau européen. Chaque pays dispose – ou pas – de son modèle, voire de ses modèles, comme c’est le cas en Belgique… Par conséquent, les articulations possibles varient d’un État membre à l’autre. Celles qui existent témoignent de la reconnaissance et de la place accordée aux conseils de presse dans l’écosystème médiatique, ce qui renforce l’enjeu de cette recherche. L’ambition de l’étude était en effet considérable, la situation n’ayant jamais été documentée dans cette perspective auparavant.
Dans une première partie, la publication compare et analyse les articulations dans les pays européens sur la base d’une série de données collectées, à savoir un examen qualitatif approfondi de six pays sélectionnés (l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, l’Espagne, l’Italie et la Suède) et une enquête en ligne qui étend le champ de l’étude à tous les régulateurs et conseils de presse des États membres de l’UE. Elle conclut à l’existence de plusieurs critères susceptibles d’influencer la relation entre conseils de presse et régulateurs – l’existence d’un conseil de presse ou d’un autre organe d’autorégulation ; la reconnaissance juridique du conseil de presse ; son ancienneté ; ses missions ; ses « pouvoirs » ; les missions du régulateur – ainsi qu’à la solution inéluctable qu’appelle le cadre dans lequel ils évoluent, à savoir la coopération – la régulation ou l’autorégulation exclusives étant exclues.
La deuxième partie reprend cette solution qui émerge de l’analyse et l’examine avec les conseils de presse européens et des représentants du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA). Au regard des observations des uns et des autres, au vu du contexte dans lequel elles s’inscrivent, sont alors proposées 10 recommandations sur la manière dont les conseils de presse peuvent, à terme, contribuer aux objectifs de la régulation des médias, tout en protégeant l’indépendance et la liberté de la presse.
Cette analyse est d’autant plus d’actualité qu’elle est menée à un moment où un nouveau cadre réglementaire concernant les contenus en ligne et les acteurs numériques est en train d’émerger – la proposition de législation européenne sur la liberté des médias (EMFA), la mise en œuvre du nouveau règlement sur les services numériques (DSA) – et pourrait remettre en question les divisions actuelles des compétences en place dans chaque État membre de l’UE.